24.07.2020

«Souvenirs d’enfance» : Axel Hubler retourne à la plage de la Baie orientale

Soualigapost.com publie les souvenirs d’enfance d’Axel Hubler. Il nous raconte des histoires dans lesquelles il décrit Saint-Martin. Aujourd’hui, il se souvient de la Baie Orientale et des chemins qui y menaient depuis Grand Case.

Je ferme les yeux ... J'inspire. Je peux presque, avec les bruits et les paysages, me recréer les senteurs. Car, je m'en souviens très bien, en ce temps-là, suivant les lieux, l'air se chargeait de différentes odeurs. De fleur , de sel, de garrigue antillaise, de la caresse du vent sur la nature heureuse.

Jusqu'en 1980, la plage de la Baie Orientale et toute cette façade de l'île étaient absolument vierges. Le premier hôtel qui sera inauguré sera le Club Orient de cette même année, puis en 1989 une autre structure importante, l'hôtel Mont Vernon . Entre temps et petit à petit un développement soutenu recouvrira cette merveilleuse plaine longeant le littoral jusqu'au résultat actuel.

Sur mon petit vélo, accompagné de mon plus jeune frère Eric, il nous arrivait sans la permission de notre mère de partir aussi loin que notre force juvénile et notre envie de découvertes nous le permettaient. Au départ du village de Grand Case par l'ancienne et unique route existante, embellie latéralement par de vieux barbelés croulant sous le coralita, nous longions les terrains qui nous semblaient infinis des grandes familles saint-martinoises.

A la sortie du village se trouvait la propriété foncière de Monsieur et Madame Cagan. Suivis par ceux de sa sœur et de son époux, monsieur Hunt . Commençaient ensuite les propriétés de la famille Laurence, qui encore aujourd'hui, vous mènent sans discontinuer jusqu'au terrain où se trouve la décharge. Le petit aéroport endormi de l'Espérance se continuait par au loin à droite les étendues de monsieur Rogers où l'on construira plus tard Mont Vernon II et sur la gauche le début des propriétés de la famille Beauperthuy.

Sortant du village, pédalant avec force pour lutter contre l'alizé contraire, nous nous éloignions de toute civilisation pour affronter la virginité séculaire de notre petit territoire. Une fois passé la dernière case entourée de grands cocotiers, nous affrontions la dernière ligne droite débouchant sur l'option de Cul de Sac ou du Quartier d'Orléans. Juste avant, nous avions entendu le crissement de la vieille éolienne, servant d'abreuvoir au cheptel bovin, sans doute le plus important de l'île.

La plage de la Baie Orientale. Lieu si mythique aujourd'hui. A l'époque, il y avait quatre manières de s'y rendre. La première était de suivre à peu près le même chemin qui conduit au restaurant Sol é Luna. En terre jadis et qui a été goudronné, passant derrière l'étang aux écrevisses et débouchant sur le lieu où se trouve la résidence Mont Vernon. A la fin de la plage, dans le fracas intense des vagues achevant leur course sur le promontoire rocheux couvert de cactus appelés tête à l'anglais. Lieu privilégié de ponte pour les tortues, tant de fois avons nous assisté aux éclosions miraculeuses de cet animal si noble.

La deuxième option , était celle d'un autre chemin, plus lointain, traversant une superbe cocoteraie. Juste après la station service actuelle. Sinueux, entre morne et petit étang, dans une odeur moite et iodée, freinée par la chevelure dense des cocotiers, le chemin s'achevait sur ce merveilleux rivage immaculé où bien des années plus tard on construira le restaurant Boo Boo Jam. Je revois si clairement la presque pénombre sous les plantations serrées , les myriades de noix de coco au sol . Du bruit des crabes décortiquant les racines ou autre fruit abandonné . Puis telle une apparition presque éblouissante de par sa réverbération, ce sable blanc suivi d'une immensité de dégradés de bleus. Une tranquillité totale qui pouvait, de manière rarissime, être agrémentée par deux petits points noirs lointains : un couple de touristes se baignant dans cette féerie cristalline.

La troisième option , pour atteindre le lieu, était une descente chaotique, caillouteuse, bordée d'épineux et cactus, par le morne qui surplombe cette superbe vue sur Saint-Barthélemy. Continuant la route actuelle, les virages successifs descendus, juste avant d'atteindre la "Old House" de monsieur et Mmadame Beauperthuy se présentait la véritable voie pour se rendre sur la plage. Cette route dont seul le début est goudronné de nos jours est la plus ancienne. Elle longe l’une des trois salines qui se trouvaient côté français. Tant de fois j'ai entendu les histoires racontées par Ruben, Pierre ou Sheila . Comment leur famille était arrivée de France voici cinq générations. Leur ancêtre Pierre Auguste Beauperthuy qui établit la compagnie des salines envoyé par le gouvernement français au XIX siècle. Comment cette saline, étendue d'eau abandonnée et oubliée aujourd'hui, produisait dans les années antérieures un sel d'excellente qualité vendu jusqu'en Amérique du nord et bien au-delà.

Exporté par sacs de 30 kilos, le sel était au début du siècle dernier déposé sur la plage par des chars à bœufs, puis plus tard par camion. La récolte était saisonnière. Lorsque les bateaux arrivaient, ils activaient leur sirène avertissant les habitants du Quartier d'Orléans de leur présence et ainsi débutait une récolte qui durait trois jours. 200 personnes étaient nécessaires pour accomplir la tâche. On commençait tôt le matin à 5 heures puis on cessait à 13 heures. La chaleur, les brûlures, l'ingratitude de la tâche étaient épuisantes. Les bateaux dont l'intégralité des équipages était originaire de Saint-Barthélemy, ancraient et patientaient leur cargaison côté plage juste en face de Green Key pour se protéger de la houle.

Deux types de bateaux pouvaient entrer dans la Baie : les goélettes et les Sloops . Le plus beau de ces navires était de la première catégorie et s'appelait " Javeline " . Il était là propriété de Monsieur Louis Constant Fleming père. Si le modernisme avait doté un de ces bateaux d'un treuil, alors la cargaison en sacs était remplacée par celle en tonneaux, d'une contenance plus grande et d'un poids de 90 kilos. Leur transport sur terre était plus aisé, grâce aux arceaux latéraux on les faisait rouler. Par des planches latérales ils étaient chargés sur des dinghies à fond plat et de là vers le navire en question. Peu de gens savent qu'à Saint Martin côté français , en ce temps , il y avait trois ports. Marigot et Grand Case étaient des lieux de réception et d'expédition alors que depuis la Baie Orientale du lieu exact où se trouvait le restaurant "Chez Pedro" , il ne s'agissait que d'un point d'exportation.

Vers la Guadeloupe partaient vaches, cochons , cabris . Avec quelquefois un arrêt à Saint-Barthélem . Tandis que le coton cultivé sur toute la façade montagneuse où se trouvent aujourd'hui " Les jardins de la Baie Orientale " était d'abord expédié à Anguille pour ensuite rejoindre Londres.

Une anecdote m'a marqué enfant . Lorsque monsieur Beauperthuy père me racontait comment en 1932 une immense baleine déjà harponnée était venue s'échouer et mourir sur la plage. Comment dans son sillage une armée de requins voraces venait déchiqueter ses restes dans une orgie violente. Des gens venaient depuis le côté hollandais chasser ces prédateurs qui subitement surpeuplaient la zone rendant leur capture aisée. Il y a aussi des photos prises dans les années 1960 le montrant dans les alentours de Caye Verte chassant des langoustes de plus de 25 livres ! Il y en avait une telle profusion.

Sur mon petit vélo vert , c'est par ce chemin qu'habituellement j'arrivais. Transpirant et essoufflé. Le parfait demi-cercle sablonneux, immaculé m'attendait. Pour moi, pour mon frère. Pour nous seuls. Je revois, les immenses lianes vertes courant sur le sable, couronnées d'ici de là par de grosses fleurs violettes. Des raisiniers de mer, qui, en saison, nous gâtaient avec leurs petits fruits mauves, si sucrés. En roulant une feuille de l'arbre en " cornet " nous la remplissons et emportions cette gourmandise dans l'eau de notre baignade. Mixture de sucré et salé. Je me rappelle des poches épineuses suspendues à une plante grimpante, contenant ces magnifiques graines grises, marron, que nous appelions " brûlants " et dont nous remplissions nos poches pour, plus tard ,en faire des colliers. J'entends le sifflement du vent, dans les branchages. Du va et vient des pélicans et surtout de cette immensité tranquille, d'une beauté déconcertante. Après un plongeon, je humais l'air et inspirais avec force de manière à en gonfler mes poumons. Cet air si pur après avoir traversé tout un océan. Si j'avais emporté un goûter ou un jus de carambole fait maison je ne pouvais que contempler la beauté insolente de tout ce qui m'entourait pendant que je me restaurais.

Des vagues venant s'échouer en douceur sur ce sable blond, telle une caresse sur la joue d'un enfant. Du camaïeu de bleus composant une collection infinie. Des oiseaux au plumage éblouissant si parfait qu'on les croirait peints à la main. A cette île. A mon bonheur. A mon enfance. Au privilège que m'a accordé la vie de grandir et vivre en ce lieu unique que j'aime tant et qui est en moi. Je n'oublie pas le passé et ce qui m'en fût conté. Tout comme je n'oublie pas mes propres années lointaines hélas. Je veux simplement éterniser cette mémoire en la partageant avec vous. Saint Martin mon île. Souvenirs d'enfance.

Texte et crédit photo : Axel Hubler.

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