23.10.2023

Un homme de quarante ans est accusé d'avoir agressé sexuellement sa belle-fille de six ans

C’est une affaire d’agression sexuelle commise sur mineur que le tribunal de proximité de Saint-Martin a jugé jeudi. Un dossier délicat et comme il est souvent le cas dans ce type d’affaires «sensible», deux versions divergentes se confrontent, celle de R.F, quarante ans, (accusé) qui nie les faits et celle de la mère de la victime (N.B), et la victime elle-même âgée de 6 ans au moment des faits.

Les faits se sont produits dans la nuit du 3 juin dernier au domicile du prévenu où il vit avec N.B et la fille de celle-ci, née d’une précédente relation. Ce soir-là, R.F rentre vers minuit en état d’ivresse, constate N.B en lui ouvrant la porte. R.F insulte à plusieurs reprises N.B, elle décide de remonter dans son lit se coucher auprès de sa fille qui dormait dans le lit conjugal. R.F les rejoint et tente d’avoir un rapport sexuel avec sa concubine mais celle-ci n’est pas réceptive, ainsi elle décide d’aller au salon, regarder la télé, laissant R.F seul dans la chambre avec sa fille endormie.

Quelques minutes plus tard, la mère entend les cris de sa fille. En regagnant la chambre, elle aperçoit R.F «à quatre pattes sur sa fille qui était nue». Elle assure au tribunal que sa fillette portait une robe de nuit et une culotte avant de la laisser quelques minutes plus tôt. Elle pousse l’homme de sa fille en lui demandant ce qu’il est en train de faire, elle le secoue, mais ce dernier ne répond pas.

La mère habille sa fille, ensemble elles se réfugient chez la responsable de travail de N.B. La maman demande à sa fille si R.F l’a touchée «en bas». Avec un hochement de la tête, la jeune fille de 6 ans dit oui. Vers 2h50 les gendarmes sont appelés, la petite fille est entendue, mais la communication est complexe car elle est «gênée d’en parler», décrit la juge. La victime indiquera après à l’hôpital que R.F lui a mis la langue et les doigts sur sa partie vaginale.

Un examen gynécologique est réalisé et celui-ci fera état des traces de sperme masculin sur les parties intimes de la victime et d’une vulve «anormalement humide». Malgré cette preuve médicale, le prévenu affirme que c’est «un coup monté» par la mère car il n’aurait jamais fait de mal à celle qu’il considérait comme «sa fille».

«Je ne sais pas ce qui s’est passé car je dormais. Ça fait trois ans que N.B et sa fille vivaient chez moi. Si j’avais voulu faire quelque chose, je l’aurais fait depuis longtemps. Je me suis souvent retrouvé seul avec la petite, je l’amenais à l’école, je m’occupais d’elle etc. J’avais des occasions mais il ne s’est jamais rien passé car je ne suis pas comme ça, c’est la pire des choses que l’on puisse faire. J’ai des nièces etc, je n’ai jamais eu ce genre d’histoires, j’aime les enfants », affirme-t-il à la juge. De plus, «j’ai un problème au pied donc pour se mettre à quatre pattes, c’est très compliqué pour moi», ajoute-t-il.

Cependant, plusieurs choses laissent perplexe la juge. La première est que le couple dort avec la petite fille de 6 ans. «Elle a toujours dormi entre nous depuis trois ans et il n’y a jamais eu de problème», dit R.F. Ce à quoi la magistrate rétorque : « Pensez-vous qu’il est normal de dormir dans le même lit qu’une enfant de 6 ans ? ». « C’est avec la mère qu’il faut voir ça, moi je lui ai toujours dit », répond-il. Si la juge lui rappelle qu’il est tout autant responsable, elle repose la même question à la mère, elle répond que non, mais elle explique que sa fille a peur de dormir seule, pour autant elle se plaçait au milieu des deux, précise-t-elle.

La second point qui laisse dubitative la juge est que selon l’explication de la mère de la victime, sa fille dormait en robe de nuit avec une culotte, ainsi, «comment le sperme aurait-il pu traverser la culotte de la victime ? », demande-t-elle au prévenu. En effet, selon R.F il y a eu «un transfert».

Il explique avoir eu un rapport avec la mère quelques heures avant ce soir-là dans le lit. Il ajoute que les draps n’avaient pas été changés et que N.B prenait habituellement une douche après un rapport sexuel sauf ce soir-là. Ce qui expliquerait la présence de sperme sur les draps et ce «transfert sur les parties intimes de la petite». Alternativement, la mère aurait pu doucher sa fille et l’essuyer avec des traces de sperme provenant de leur acte sexuel, estime-t-il.

«Vous disiez dormir le soir des faits, mais comment expliquez-vous que votre téléphone était actif à ce moment-là ? Il y a des preuves selon lesquelles vous avez consulté des sites pornographiques. Maintenez-vous toujours votre position ? », interroge le vice-procureur. « Mon téléphone était en bas, ce n’est pas moi », dit R.F qui sous-entend que sa compagne aurait pu l’utiliser pour justifier «ce coup monté».

Avant de débuter sa plaidoirie, maître Barreiro, avocat de la défense a demandé au tribunal un complément d’informations sur l’expertise psychiatrique de son client. En effet, il considère que l’expertise est «défaillante» puisqu’elle ne se positionne pas sur la nécessité, l’opportunité d’une injonction de soins qui, selon lui, est un «moteur imposé pour condamner». «Celle-ci n’est pas possible dans ce dossier puisqu’elle ne répond pas aux obligations légales imposées à la lecture de l’article 706-47-1 du code de procédure pénale », déclare-t-il. Il demande au tribunal d’ordonner une nouvelle expertise. Du côté du ministère public, cette demande est rejetée par le parquet, estimant que le code de procédure pénale a été respecté. Le tribunal rendra sa décision lors du délibéré.

Dans ses réquisitions, selon le vice-procureur, le prélèvement de la présence de sperme sur les organes génitaux de la victime, «ne peut pas être de l’ADN de transfert mais d’un contact direct du prévenu sur la victime». Pour lui, les faits sont graves avec un risque de récidive. «L’accusé affirme qu’il aime bien les enfants», cela peut être inquiétant pour le ministère public. Ainsi, il demande au tribunal d’entrer en voie de condamnation et requiert une peine de cinq ans d’emprisonnement dont deux ans de sursis probatoire sur une période de trois ans. Il requiert également une obligation de soins, l’interdiction de toute activité avec un mineur pour une durée de dix ans, l’inscription au FIJAIS*. Ainsi que l’obligation de réparation des dommages occasionnés et les sommes dues au Trésor public.

Selon maître Barreiro, les accusations envers son client reposent sur un certificat médical et la conclusion des prélèvements d’ADN. «Il y a toujours deux visions dans ce type d’affaire qui peuvent se confronter. Nous pourrons qualifier l’histoire d’immorale car c’est une situation où deux adultes dorment avec un enfant dans le même lit, toutefois ce n’est pas une infraction pénale», démontre-t-il.

De plus, les conclusions de l’expert médical constatent la «présence rare de spermatozoïdes, mais aucun profil génétique n’a été caractérisé». En d’autres termes, «l’expert n’a pas cette certitude puisque dans son rapport il indique que les traces d’ADN masculins peuvent provenir de R.F. Il n’y a pas de certitude. En matière d’expertise d’ADN, il y existe cette possibilité de transfert», réitère-t-il. «Par la lecture de ce dossier, nous savons que le couple a eu un rapport sexuel avant la survenance possible des faits», rappelle l’avocat de la défense. «L’expert n’évoque pas de certitude car l’échantillon de prélèvement ne permet pas d’établir à 100% l’infraction qui est reprochée à mon client », complète-t-il.

Enfin pour maître Barreiro, il y a une incohérence dans ce dossier qui aurait dû être un peu plus approfondi. En outre, «l’expertise psychologique de la victime est absente dans ce dossier, vous n’avez donc pas la possibilité d’analyser la fantaisie ou la certitude des dires de cette dernière», relève-t-il.

«La machine judiciaire est lancée contre mon client mais elle ne garantit pas la démonstration de la preuve factuelle et matérielle. Si vous êtes amené à rejeter ma demande de complément d’informations de l’expertise psychiatrique, je plaide la relaxe de mon client au regard des conclusions de celle-ci parce qu’il y a un doute certain sur les éléments et ce doute doit profiter à l’accusé », conclut maître Barreiro.

L’affaire a été mise en délibéré au 23 novembre prochain.

*FIJAIS : fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes.

Siya TOURE